Stanislas RODANSKI

Stanislas RODANSKI



« Voué à mon astre glacé, je me suis dit que séduire, c’est prendre de court avec le temps. » Lié dès 1947 au mouvement surréaliste et à la revue Néon, dont il avait trouvé le titre, sa collaboration à l’activité collective fut de courte durée et il s’éloigna du groupe en 1948.

Fasciné par les grands dandys de l’aube du surréalisme, Arthur Cravan, Jacques Rigaut et surtout Jacques Vaché, auquel il lui arriva de s’identifier, Stanislas Rodanski (1927-1981) était surréaliste dans la solitude avant de devenir surréaliste dans le silence. Ivan, le personnage énigmatique du roman à clé de Jouffroy, Le Temps d’un livre, n’est autre que Stan. Il rêvait de visiter l’Inde et s’engagea pour l’Indochine. Porté déserteur, c’est de la Section spéciale où il fut interné, que parviendront au Soleil Noir, ses réponses à La Révolte en question et au Temps des assassins.

Rodanski choisit, en 1954, de faire sauter de l’intérieur les réseaux de communication et de se retrancher volontairement dans le silence d’une maison de santé de Lyon. En 1975, il accepte néanmoins l’idée de la publication de La Victoire à l’ombre des ailes, « La mort est une distraction passagère. »

Quand je l’ai connu en 1947 à Paris au sein du groupe surréaliste qui venait de se reconstituer autour d’André Breton, Rodanski préparait un livre qu’il avait intitulé Cours de la Liberté, en fonction d’une rue de Lyon où il avait fait, je crois, une rencontre mémorable. Les fragments qu’il me lut de ce livre en tête à tête me firent penser, par leur verbe crispé, déchiré, traversé d’images tragiques, qu’il se situait dans la lignée d’Antonin Artaud et de Roger Gilbert-Lecomte, et qu’il pourrait bien avoir un jour sa place aux côtés de ces prédécesseurs qui ont pratiqué l’écriture des abîmes. Nous avions projeté à plusieurs de faire une revue, avec des moyens de fortune, ayant la forme d’un Journal de rêve, dédié à l’aventure poétique et à la révolution de l’imaginaire. Typographie bizarre, textes calligraphiés, dessins fantastiques, comptes-rendus signés par les emblèmes du Zodiaque, devaient la caractériser.

Le problème était d’en trouver le titre, et pour cela, nous nous réunîmes chez le peintre Victor Brauner, qui habitait à Montparnasse l’ancien atelier du douanier Rousseau, et nous nous lançâmes à la tête toutes sortes d’appellations selon la technique des associations libres. Nous n’étions pas satisfaits de nos trouvailles lorsque Rodanski, jusqu’alors distrait et évasif, dit soudain avec une certaine insistance : « Néon ». Nous adoptâmes aussitôt avec enthousiasme ce titre, qui symbolisait la lumière de la modernité.

Il revient donc à Rodanski le mérite d’avoir donné son nom au premier organe surréaliste d’après-guerre, Néon, dont l’apparition souleva quelques polémiques à l’époque, parce qu’il opposait le mythe à la réalité quotidienne, la magie à la politique, l’érotisme à la religion, et le mystère de la vie à l’épaisse grossièreté du monde. Rétrospectivement, sachant quel fut son destin, il me semble que Rodanski en s’écriant « Néon » révélait ce jour-là la clé de sa personnalité.

Son inconscient, sollicité par nos improvisations, l’amenait à se définir en jouant sur un mot, comme nous aimions tous à le faire en des recherches sémantiques allant jusqu’au calembour. Il parlait bien d’une lumière nouvelle, certes, mais il pensait sans doute en même temps « Je suis né On », comme Rimbaud avait dit « Je est un autre ». Il était né On, ce qui paraît impossible. Tout le monde est Je pour soi-même, Tu ou Il pour quelqu’un, Nous avec ses proches. Lui, il ne tenait pas à soi-même et il ne se souciait pas d’être un autre: il n’était pas Lancelot, chevalier du Lac, mais chevalier du On.

Avant de s’enfermer dans la solitude et le refus de l’expression, Rodanski s’est encore apparenté au groupe des surréalistes dissidents qui ont rompu avec l’Officialité du mouvement, pour des raisons de convenance personnelle. Il n’y a pas eu d’exclus en cette affaire, mal connue des historiens et des critiques : nous sommes partis volontairement, et même sur un éclat, d’une communauté agitée de contradictions passagères. Cette légende de l’exclusion a été entretenue par un communiqué que publièrent dans Néon ceux qui le reprirent avec nous, et qui rédigèrent quelques années plus tard une note excluant Max Ernst. Ces querelles de famille spirituelle sont sans importance pour juger des destinées poétiques, et Rodanski reste, malgré sa longue retraite, un représentant de la révolte très particulière de quelques-uns au lendemain de la Libération, comme il apparaît aujourd’hui, à travers sa biographie et ses écrits, l’exemple même de l’individualité inclassable, indéfinissable et finalement exceptionnelle. »

Sarane ALEXANDRIAN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 

À lire : Spectr'Acteur (Deleatur, 1983), Des proies aux chimères (Éditions Plasma, 1983), Dernier Journal tenu par Arnold (Deleatur, 1986), Horizon perdu (Éditions Comp’act, 1987), La Victoire à l'ombre des ailes (Le Soleil Noir, 1975. réédition Christian Bourgois, 1989), La Montgolfière du Déluge (Deleatur, 1991), Journal 1944-1948 (Deleatur, 1991), Le surétant non être (Éditions Unes, 1994), Écrits (Christian Bourgois, 1999), La Nostalgie sexuelle, suivi de Le chant de la Nostalgie sexuelle (éditions L'arachnoïde, 2005), Requiem for me (éditions des Cendres, 2009), Le Cours de la liberté (éditions L'arachnoïde, 2010), Stanislas Rodanski, éclats d'une vie, livre + DVD, (Fage éditions, 2012), Substance 13 (éditions des cendres, 2013), Je suis parfois cet homme (Gallimard, 2013).

 

 

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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